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la sacoche, qu’il croyait avoir rencontré quelque part, lui déplut tout à fait ; il lui trouva une physionomie si antipathique et si insolente, qu’il alla s’asseoir sur la large saillie du poêle avec l’intention de le remettre à sa place s’il se permettait de dire quelque chose de désobligeant. En sa qualité d’officier du front, brave et honorable, il n’aimait point les officiers d’état-major, et il avait pris ceux-là pour tels à première vue.


IV


« C’est du guignon, disait un des jeunes gens : être si près du but et ne pouvoir y arriver. Il y aura peut-être aujourd’hui même une affaire, et nous n’en serons pas. »

Au timbre un peu aigu de la voix, à l’incarnat juvénile qui s’étendait par plaques sur son frais visage, on devinait la sympathique timidité d’un jeune homme qui craint de dire quelque chose de déplacé.

L’officier manchot le regardait en souriant.

« Vous aurez le temps, croyez-moi », lui dit-il.

Le jeune officier porta avec respect ses yeux sur la figure amaigrie de ce dernier, subitement illuminée par ce sourire, et continua en silence à verser le thé. Et vraiment la figure, la pose du blessé, et surtout la manche flottante de son uniforme lui donnaient une apparence de calme indifférent qui semblait répondre à tout ce qu’on disait ou faisait autour de lui : « Tout cela est fort bien, mais je sais tout ça, et je pourrais l’accomplir si je le voulais. »

« Que décidons-nous ? demanda le jeune officier à son camarade en arkhalouk ; passerons-nous la nuit ici, ou pousserons-nous plus loin avec notre unique cheval ?

— Figurez-vous, capitaine, poursuivit-il lorsque son compagnon eut décliné sa proposition (il s’adressait au