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visages et à écouter les conversations. Le groupe principal se tenait à droite de la porte d’entrée, autour d’une table boiteuse et graisseuse sur laquelle bouillaient deux samovars en cuivre, plaqués çà et là de petites taches de vert-de-gris ; du sucre en morceaux y était étalé dans plusieurs enveloppes de papier. Un jeune officier sans moustache, en arkhalouk[1] neuf, versait de l’eau dans une théière ; quatre autres, de son âge à peu près, étaient dispersés dans les différents coins de la chambre ; l’un d’eux, la tête posée sur une pelisse qui lui servait d’oreiller, dormait sur un divan ; un autre, debout auprès d’une table, découpait en petites bouchées du mouton rôti pour un camarade auquel il manquait un bras. Deux officiers, l’un en capote d’aide de camp, l’autre en capote d’infanterie en drap fin et porteur d’une sacoche, étaient assis à côté du poêle, et l’on devinait facilement, à la façon dont ils regardaient les autres, à celle dont fumait l’homme à la sacoche, qu’ils n’étaient pas des officiers de la ligne, et qu’ils en étaient fort contents. Leur manière d’être ne trahissait point le mépris, mais un certain contentement d’eux-mêmes, fondé en partie sur leurs relations avec des généraux et sur un sentiment de supériorité, développé au point qu’ils tenaient à le cacher à autrui. Il y avait là aussi un médecin aux lèvres charnues et un artilleur à la physionomie allemande, presque assis sur les pieds du dormeur, occupés à compter de l’argent ; puis quatre brosseurs, les uns sommeillant, les autres fouillant dans les malles et les paquets entassés près de la porte, complétaient le nombre des personnes présentes, parmi lesquelles Koseltzoff ne découvrit aucune figure de connaissance. Les jeunes officiers lui plurent ; il devina tout de suite à leur apparence qu’ils venaient de sortir de l’école, ce qui lui rappela que son jeune frère allait également arriver tout droit de là pour se rendre à une des batteries de Sébastopol. En revanche, l’officier à

  1. Vêtement un peu long porté au Caucase.