sière impénétrable et immobile soulevé par les chariots et qui s’introduisait partout dans ses yeux, dans ses oreilles, examinait les figures qui défilaient.
« Voilà un soldat malade de notre compagnie », dit le domestique, qui se tourna vers son maître et indiqua de la main un blessé.
Sur le devant, assis de côté, un paysan russe portant toute sa barbe, un bonnet de feutre sur la tête, faisait un nœud à un énorme fouet qu’il retenait par le manche en le maintenant avec le coude. Il tournait le dos à quatre ou cinq soldats secoués et cahotés dans la charrette : l’un d’eux, le bras bandé, sa capote jetée sur sa chemise, assis droit et ferme, quoique pâle et maigre, occupait le milieu ; en apercevant l’officier, il porta instinctivement la main à son bonnet, mais, se souvenant de sa blessure, il fit semblant de vouloir se gratter ; un autre était couché à côté de lui dans le fond de la télègue : on ne voyait de lui que ses deux mains cramponnées aux barres de bois et ses deux genoux relevés, ballant sans résistance comme deux torchons de tille ; un troisième, la figure enflée, la tête entourée d’un linge sur lequel était posé son bonnet de soldat, assis de côté, les jambes pendantes en dehors et frôlant la roue, sommeillait, ses mains appuyées sur ses genoux.
« Doljikoff ! lui cria le voyageur.
— Présent ! » répondit celui-ci, ouvrant les yeux et ôtant son bonnet ; sa voix de basse était si pleine, si formidable, qu’elle semblait sortir de la poitrine de vingt soldats réunis.
« Depuis quand es-tu blessé ?
— Salut à Votre Noblesse[1] ! cria-t-il de sa forte voix, ses yeux vitreux et gonflés s’animant à la vue de son supérieur.
- ↑ Traduction littérale du salut habituel du soldat à ses supérieurs.