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myriades d’étoiles, et deux bombes qui volaient dans l’espace, comme cherchant à se dépasser. Il vit Ignatief, les soldats chargés de brancards et de fusils, le talus de la tranchée, et, tout à coup, il comprit qu’il était encore de ce monde.

Une pierre l’avait légèrement blessé à la tête. Sa toute première impression fut presque un regret ; il s’était si bien, si tranquillement préparé à passer là-bas, que le retour à la réalité, la vue des bombes, des tranchées et du sang lui furent pénibles. La seconde impression fut une joie involontaire de se sentir vivant, et la troisième le désir de quitter le bastion au plus vite. Le tambour banda la tête à son commandant et l’emmena à l’ambulance en le soutenant sous le bras.

« Où vais-je et pourquoi ? pensa le capitaine, revenu un peu à lui ; mon devoir est de rester avec ma compagnie, — d’autant plus, lui souffla une voix intérieure, qu’elle sera bientôt hors de la portée du feu de l’ennemi. »

« C’est inutile, mon ami, dit-il au tambour, en retirant son bras. Je n’irai pas à l’ambulance ; je resterai avec la compagnie.

— Il vaut mieux se laisser panser comme il faut. Votre Noblesse ; le premier moment, ça ne semble être rien, et puis ça peut empirer. Vrai, Votre Noblesse… »

Mikhaïlof s’était arrêté, indécis ; il aurait peut-être suivi le conseil d’Ignatief, mais il se rappela la quantité de blessés qui encombraient l’ambulance, presque tous grièvement atteints. « Le médecin se moquera peut-être de mon écorchure », se dit-il ; et, sans écouter les arguments du tambour, il alla, d’un pas ferme, rejoindre sa compagnie.

« Où est l’officier Praskoukine, qui était tantôt à côté de moi ? demanda-t-il au sous-lieutenant, qu’il retrouva sur le front de la compagnie.

— Je ne sais pas, je crois qu’il est tué, répondit ce dernier avec hésitation.

— Tué ou blessé ? Comment ne le savez-vous pas ? Il