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XII


Mikhaïlof, lui aussi, s’était jeté par terre en apercevant la bombe ; comme Praskoukine, il avait pensé à une foule de choses pendant les deux secondes qui précédèrent l’explosion. Il priait Dieu mentalement en répétant :

« Que ta volonté soit faite ! Pourquoi, Seigneur, suis-je militaire ? pourquoi ai-je permuté dans l’infanterie pour faire cette campagne ? Que ne suis-je resté dans le régiment des uhlans au gouvernement de F…, près de mon amie Natacha ? et maintenant, voilà ce qui m’attend ! »

Il se mit à compter : un, deux, trois, quatre, en se disant que, si la bombe éclatait au nombre pair, il demeurerait en vie, si au nombre impair, il serait tué. « Tout est fini, je suis tué ! » pensa-t-il au bruit de l’explosion, sans plus songer au pair et à l’impair. Frappé à la tête, il ressentit une effroyable douleur :

« Seigneur, pardonnez-moi mes péchés ! » murmura-t-il en joignant les mains.

Il essaya de se soulever et retomba sans connaissance, la face contre terre.

Sa première sensation, quand il revint à lui, fut le sang qui lui coulait du nez ; la douleur à la tête était beaucoup plus faible :

« C’est l’âme qui s’en va ; qu’y aura-t-il là-bas ? Mon Dieu, recevez mon âme en paix !… C’est pourtant étrange, raisonnait-il, je me meurs, et j’entends distinctement les pas des soldats et le bruit des coups de feu ! »

« Par ici, un brancard ! le chef de compagnie est tué ! » cria au-dessus de lui une voix qu’il reconnut, celle du tambour Ignatief.

Quelqu’un le souleva par les épaules, il ouvrit les yeux avec effort et vit sur sa tête le ciel d’un bleu sombre, des