« Bonne journée ! pensait Kalouguine en rentrant chez lui ; pour la première fois j’ai du bonheur. L’affaire a été brillante, je m’en suis tiré sain et sauf, il y aura force présentations ; un sabre d’honneur, c’est le moins qu’on puisse me donner. Eh ! ma foi, je l’ai bien mérité. »
Il fit son rapport au général et rentra dans sa chambre ; le prince Galtzine lisait un livre pris sur la table et l’attendait depuis longtemps.
Ce fut avec une jouissance inexprimable que Kalouguine se retrouva chez lui, loin du danger. En chemise de nuit, couché sur son lit, il racontait à Galtzine les incidents du combat ; ces incidents s’arrangeaient tout naturellement pour faire ressortir combien lui, Kalouguine, était un officier capable et brave ; il glissait, d’ailleurs, discrètement là-dessus, vu que personne ne devait l’ignorer et n’avait le droit d’en douter, à l’exception peut-être du défunt capitaine Praskoukine ; ce dernier, quoiqu’il se sentît très honoré de marcher bras dessus bras dessous avec l’aide de camp, avait raconté la veille encore, à un de ses amis, dans le tuyau de l’oreille, que Kalouguine, un très bon garçon, du reste, n’aimait pas la promenade sur les bastions.
Nous avons laissé Praskoukine revenant avec Mikhaïlof ; il avait gagné un endroit moins exposé et commençait à se sentir renaître, lorsqu’il aperçut, en se retournant, la lumière soudaine d’un éclair ; la sentinelle cria :
« Mor-tier ! »
Et un des soldats qui suivaient ajouta :
« Il vole droit au bastion ! »
Mikhaïlof regarda. Le point lumineux de la bombe semblait arrêté à son zénith juste au moment où la direction qu’elle allait suivre était impossible à déterminer ; ce fut l’espace d’une seconde ; soudain, redoublant de vitesse, le projectile se rapprocha de plus en plus : on voyait déjà voler les étincelles de l’amorce, on entendait le lugubre sifflement : il allait tomber droit au milieu du bataillon.