Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.


X


« Vous avez du sang sur votre capote : vous vous êtes donc battu à l’arme blanche ? demanda Kalouguine.

— Oh ! c’est affreux ! figurez-vous… »

Et Pesth se mit à lui raconter comment il avait mené sa compagnie, après la mort du commandant, de quelle façon il avait assommé un Français et comment, sans lui, l’affaire aurait été perdue. Le fond du récit, c’est-à-dire la mort du commandant et le Français tué par Pesth, était véridique ; mais le junker, en précisant les détails, amplifiait et se vantait.

Il se vantait sans préméditation ; pendant toute la durée de l’affaire il avait vécu dans un brouillard fantastique, à tel point que tout ce qui s’était passé lui semblait avoir eu lieu vaguement, Dieu sait où, Dieu sait quand, et se rapporter à quelqu’un qui n’était pas lui ; tout naturellement il essayait de créer des incidents à son avantage. Voici, du reste, comment la chose s’était passée.

Le bataillon auquel il avait été attaché pour prendre part à la sortie était resté deux heures sous le feu de l’ennemi, puis le commandant avait prononcé quelques mots, les chefs de compagnie s’étaient agités, la troupe avait quitté l’abri du parapet et s’était alignée en colonnes cent pas plus loin. Pesth avait reçu l’ordre de se placer sur le flanc de la seconde compagnie.

Ne se rendant compte ni du lieu ni de l’action, le junker, la respiration comprimée, en proie à un frisson nerveux qui lui courait dans le dos, se plaça à l’endroit indiqué et regarda machinalement devant lui, dans l’obscurité lointaine, s’attendant à quelque chose de terrible. Du reste, le sentiment de la peur n’était pas chez lui l’impression dominante, car on ne tirait plus ; ce qui lui paraissait