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un aristocrate, parce qu’il est aide de camp de l’empereur.

Vaaité, vanité, et rien que vanité ! jusque devant le cercueil et parmi des gens prêts à mourir pour une idée élevée. La vanité n’est-elle pas le trait caractéristique, la maladie distinctive de notre siècle ? Pourquoi, jadis, ne connaissait-on pas plus cette faiblesse qu’on ne connaissait la variole ou le choléra ? Pourquoi, de nos jours, n’y a-t-il que trois espèces d’hommes : les uns, qui acceptent la vanité comme un fait existant, nécessaire, juste par conséquent, et qui s’y soumettent librement ; les autres, qui la considèrent comme un élément néfaste, mais impossible à détruire ; et les troisièmes, qui agissent sous son influence avec une servilité inconsciente ? Pourquoi les Homère et les Shakspeare parlaient-ils d’amour, de gloire et de souffrances, tandis que la littérature de notre siècle n’est que l’interminable histoire du snobisme et de la vanité ?

Mikhaïlof, toujours indécis, passa deux fois devant le petit groupe des aristocrates ; à la troisième, faisant sur lui-même un violent effort, il s’approcha d’eux. Le groupe se composait de quatre officiers : l’aide de camp Kalouguine, que Mikhaïlof connaissait ; l’aide de camp prince Galtzine, un aristocrate pour Kalouguine lui-même ; le colonel Néferdof, l’un des cent vingt-deux (on désignait ainsi un groupe d’hommes du monde qui avaient repris du service pour faire la campagne) ; enfin le capitaine de cavalerie Praskoukine, qui faisait aussi partie des cent vingt-deux. Fort heureusement pour Mikhaïlof, Kalouguine se trouvait dans une disposition d’esprit charmante, — le général venait de s’entretenir avec lui très confidentiellement, et le prince Galtzine, arrivé de Pétersbourg, s’était arrêté chez lui ; — aussi ne trouva t-il rien de compromettant à tendre la main au capitaine en second. Praskoukine ne se décida pas à en faire autant, bien qu’il rencontrât souvent Mikhaïlof sur le bastion, qu’il eût bu plus d’une fois son vin et son eau-de-vie, et qu’il restât lui devoir douze roubles et demi pour une partie de préfé-