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sont en campagne ; les vieillards sont à la pêche, à la chasse ou aident les femmes à travailler dans les jardins. Les enfants et les impotents sont seuls à la maison.


V


C’était une de ces soirées comme il y en a seulement au Caucase. Le soleil se cachait derrière la chaîne, mais il faisait encore clair. Le blanc mat des montagnes tranchait sur les brillantes rougeurs du couchant. L’air était vif, calme et sonore. Les montagnes jetaient leur ombre allongée à une distance énorme. Au delà du fleuve, sur le chemin, dans les steppes, tout était calme et désert ; c’est à peine si de loin en loin on apercevait un Cosaque revenant du cordon, quelque Tchétchène quittant l’aoul[1] et on se demandait avec inquiétude si ce n’était pas un ennemi ; on se rapprochait des habitations ; les oiseaux et les bêtes seuls erraient sans crainte dans cette solitude. Les femmes, occupées à rattacher les ceps de vigne, se hâtent de rentrer avant la nuit ; les jardins deviennent déserts, la stanitsa s’anime, les habitants y rentrent de tous côtés, les uns à pied, les autres à cheval ou dans des arbas. Les jeunes filles courent, de longues branches à la main, à la rencontre du troupeau, qui avance dans un tourbillon de poussière et de moucherons. Les vaches grasses et les bufflonnes se dispersent dans les rues, suivies des femmes vêtues de bechmets bigarrés. Les joyeux propos, les éclats de rire se mêlent au mugissement du bétail. Un Cosaque à cheval, revenant du cordon, frappe à une croisée sans quitter sa monture ; une charmante tête de femme paraît à la fenêtre et l’on entend de douces paroles murmurées à voix

  1. Village tcherkesse.