Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/194

Cette page a été validée par deux contributeurs.

plus élevé. Ce mobile gît dans un sentiment qui se manifeste rarement, qui se cache avec pudeur, mais qui est profondément enraciné dans le cœur de tout Russe : l’amour de la patrie. C’est à présent seulement que les récits qui circulaient pendant la première période du siège de Sébastopol, alors qu’il n’y avait ni fortifications, ni troupes, ni possibilité matérielle de s’y maintenir et que pourtant personne n’admettait la pensée de la reddition, c’est à présent seulement que les paroles de Korniloff, de ce héros digne de la Grèce antique, disant à ses troupes : « Enfants, nous mourrons, mais nous ne rendrons pas Sébastopol », et la réponse de nos braves soldats incapables de faire des phrases : « Nous mourrons, hourra ! » c’est à présent seulement que ces récits ont cessé d’être, pour vous de belles légendes historiques, qu’ils sont devenus une vérité, un fait. Vous vous représenterez aisément, sous les traits de ceux que vous venez de voir, les héros de cette période d’épreuves qui n’ont pas perdu courage et qui se préparaient avec jouissance à mourir, non pour la défense de la ville, mais pour celle de la patrie ! La Russie conservera longtemps les traces sublimes de l’épopée de Sébastopol, dont le peuple russe a été le héros !…

Le jour baisse, le soleil qui va disparaître à l’horizon perce les nuages gris qui l’entourent et illumine de ses rayons empourprés la mer aux reflets verdâtres, doucement ondulée, couverte de navires et de bateaux, les maisons blanches de la ville et la population qui s’y meut. Sur le boulevard, la musique d’un régiment joue une vieille valse dont l’eau porte au loin les sons, auxquels la canonnade des bastions forme un accompagnement étrange et saisissant.