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À la pensée que, vous aussi, vous êtes à Sébastopol même, votre âme tout entière est pénétrée d’un sentiment d’orgueil et de vaillance, et le sang court plus rapidement dans vos veines.

« Votre Noblesse, droit sur le Constantin, vous dit le vieux marin en se retournant pour vérifier la direction que vous imprimez au gouvernail.

— Tiens, il a encore tous ses canons, fait le jeune garçon à tête blonde, pendant que le bateau glisse le long des flancs du navire.

— Il est tout neuf, il doit les avoir. Korniloff y a demeuré, reprend le vieux, examinant à son tour le vaisseau de guerre.

— Là ! il a éclaté, s’écrie le gamin après un long silence, les yeux fixés sur un petit nuage blanc de fumée qui se dissipe, subitement apparu dans le ciel, tout au-dessus de la baie du Sud, et accompagné du bruit strident de l’explosion d’un obus.

— C’est de la nouvelle batterie qu’il tire aujourd’hui, ajoute le marin, crachant tranquillement dans sa main. Allons, Nichka, aux rames ; dépassons la chaloupe. »

Et la petite embarcation file rapidement sur la vaste plaine ondulée de la baie, laisse en arrière la lourde chaloupe, chargée de sacs et de soldats, rameurs inhabiles qui manœuvrent gauchement, et aborde enfin au milieu d’un grand nombre de bateaux amarrés au rivage au port de la Grafskaya. Sur le quai va et vient une foule de soldats en capotes grises, de matelots en vestes noires et de femmes en robes bigarrées. Des paysannes vendent du pain ; des paysans, à côté de leur samovar, offrent aux chalands du sbitène chaud[1]. Ici, sur les premières marches du débarcadère, traînent, pêle-mêle, des boulets rouillés, des obus, de la mitraille, des canons en fonte de différents calibres ; là, plus loin, sur une grande place, gisent à terre

  1. Boisson populaire.