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laïka. Je me confesse à lui : « J’ai péché », dis-je. Il me parle de la balalaïka. « Montre-moi le maudit instrument, que je le brise, me dit-il. — Je n’en ai pas », que je réponds. Je l’avais caché dans le garde-manger, sachant qu’on ne l’y trouverait pas.

« Enfin, on m’a laissé tranquille, et j’en suis revenu, et j’ai recommencé à jouer de la balalaïka. Mais que te disais-je donc ? Oui ! suis mon conseil : ne reste pas dans les rangs, on te tuerait, et tu me fais pitié. Tu bois sec, j’aime cela. Tes compatriotes aiment à escalader les monticules ; un des vôtres était venu de Russie ; dès qu’il voyait une colline, il courait. Un jour il courut à cheval, et était très content d’y être ! Mais voilà qu’un Tchétchène le vise et l’abat. Et ces Tchétchènes sont adroits ; il y en a de plus lestes que moi. Je n’aime pas qu’on tue un homme inutilement. Je suis tout stupéfait en regardant vos soldats ; sont-ils bêtes ! ils vont tous en masse, ces chers cœurs, et portent des collets rouges : comment ne pas être tués ? L’un tombe, on l’emporte ; un autre prend sa place ; est-ce bête ! répétait le vieux en hochant la tête. Pourquoi ne pas s’éparpiller, s’isoler ? Ce serait bien plus raisonnable. Fais ce que je te dis, l’ennemi ne te touchera pas.

— Merci, diadia, dit Olénine en se levant et allant vers la porte ; nous nous reverrons un jour, si Dieu veut. »

Le vieux Cosaque restait assis à terre.

« Est-ce qu’on se sépare ainsi, imbécile ? lui dit-il. Nous nous sommes tenu compagnie une année entière, et adieu ! tout est dit ! Et moi, qui t’aime tant, tu me fais de la peine, pauvret que tu es, et toujours seul ! Insociable que tu es ! Il m’arrive de ne pas dormir la nuit et toujours penser à toi, tellement tu m’as fais pitié. La chanson dit vrai : « Il est pénible, cher frère, de vivre en pays étranger ! »

— Adieu donc », dit Olénine.

Le vieux se leva et lui tendit une main, qu’il serra.

« Non, donne-moi la tête, » dit le vieux, et il prit la tête