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— Dieu sait ! Il n’y a pas de médecin ; on est allé en chercher un.

— Où le prendra-t-on ? À Groznoïa ? dit Olénine.

— Oh non ! père ! Si j’étais tsar, il y a longtemps que j’aurais fait pendre tous vos docteurs russes. Ils ne savent que faire jouer le couteau ; ils ont coupé la jambe à notre Cosaque Baklaschew ; ils l’ont estropié, preuve qu’ils sont bêtes. À quoi Baklaschew est-il bon maintenant ? Non, père ! on est allé dans les montagnes chercher un vrai médecin. Autrefois, un de mes amis a été blessé à la poitrine ; vos docteurs l’ont condamné. Alors on a amené Saïb, qui l’a guéri. Ceux des montagnes connaissent les simples.

— Allons donc ! ce ne sont que des billevesées ! répondit Olénine ; Je vous enverrai un médecin de l’état-major.

— Billevesées ! dit le vieux, en le contrefaisant ; imbécile ! imbécile ! tu enverras un médecin. Mais, si les vôtres avaient le sens commun, nos Cosaques iraient se traiter chez vous, tandis que ce sont vos officiers qui font venir nos médecins des montagnes. Tout est mensonge chez vous, tout ! »

Olénine ne répondit pas : il était lui-même d’avis que tout n’était que mensonge dans la société qu’il avait quittée et qu’il allait retrouver.

« As-tu vu Loukachka ? Comment va-t-il ?

— Il est comme mort ; il ne mange, ni ne boit ; il prend seulement de l’eau-de-vie. Il me fait de la peine ; c’est un brave garçon, un djighite comme moi-même. Je me mourais un jour, les vieilles femmes hurlaient autour de moi, ma tête brûlait, on m’avait déjà étendu sous les saintes images. Je reste immobile et j’entends une foule de petits tambours qui battent la retraite sur le poêle ; je leur crie de cesser, et eux de tambouriner de plus belle ! (Le vieux se mit à rire.) Les femmes amènent un de nos prêtres pour m’enterrer. C’était un galant qui faisait l’amour, pervertissait le monde, mangeait gros et jouait de la bala-