— Oui ! ils étaient tous ivres. Vanka Sitkne m’a flanqué un coup de pistolet là !
— C’était-il bien douloureux ? dit Olénine. — Vania, seras-tu bientôt prêt ?
— Eh ! pourquoi te hâter ? laisse-moi achever… La balle n’a pas touché l’os et est restée dans les chairs. Je lui dis : « Tu m’as tué, frère ! Qu’as-tu fait ? Nous ne sommes pas quittes : tu me dois pour cela un demi-seau d’eau-de-vie. »
— Souffrais-tu beaucoup ? demanda Olénine, qui écoutait à peine.
— Laisse-moi donc achever ! Il donna l’eau-de-vie, nous nous mîmes à boire, — et le sang coulait toujours, — le plancher en était couvert. Le vieux Bourdak disait : « Ce gars va passer ». « Donne encore un flacon d’eau-de-vie ou je te traduis en justice !… » On apporte le flacon, et avons-nous bu !…
— Est-ce que cela ne te faisait pas de mal ? demanda de nouveau Olénine.
— Quel mal ? Ne m’interromps pas, je n’aime pas cela ; laisse-moi achever ! Nous avons donc bu jusqu’au jour ; je me suis endormi sur le poêle. Le matin, pas moyen de remuer les membres !
— Cela faisait donc bien mal ? recommença Olénine, attendant toujours la réponse à sa question.
— Tu crois que cela faisait mal ? Non, mais j’avais les membres engourdis et ne pouvais marcher.
— Tu en es revenu, dit Olénine, qui n’avait pas le courage de sourire, tant son cœur était gros.
— J’ai guéri, mais la balle y est encore ; tâte par ici. »
Et le vieux, ouvrant sa chemise, découvrit ses larges épaules, où l’on sentait une petite balle, près de l’os.
« Sens-tu comme elle remue ? La voilà qui descend ! dit le vieux, qui s’amusait de cette balle comme d’un joujou.
— Loukachka restera-t-il en vie ? demanda Olénine.