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— C’est vrai, dit Béletsky, qui, au fond, n’aimait pas ces raisonnements. Pourquoi ne bois-tu pas, vieux ? » demanda-t-il à Jérochka.

Celui-ci fit signe à Olénine et dit :

« Est il fier, ton ami ! »

Béletsky leva son verre et dit : Allah birdy (Dieu l’a donné), et le vida.

« Saoul boul ! (porte-toi bien), répondit Jérochka en souriant et en vidant son verre.

— Tu dis que cela a l’air d’une fête ? dit le vieux Cosaque à Olénine, et en s’approchant de la fenêtre ; — ceci se nomme une fête ? Si tu avais vu celles d’autrefois ! Les femmes alors paraissaient en sarafane à galons d’or, la poitrine couverte de deux rangs de pièces d’or, sur la tête le kakochnik en or ; quand elles passaient, quel frou-frou faisait leur robe ! Elles avaient l’air de vraies princesses. Elles venaient toute une horde ! Quand elles chantaient, c’était un roucoulement continuel, et elles s’amusaient ainsi toute la nuit. Les Cosaques roulaient des tonneaux de vin dans la cour et buvaient jusqu’à l’aube. Ou bien ils allaient bras dessus bras dessous, traversant la stanitsa comme une avalanche ; ils saisissaient les passants et les entraînaient avec eux, allant de maison en maison. Ils faisaient bombance pendant trois jours. Je me souviens que mon père rentrait rouge, sans bonnet, ayant tout perdu. Ma mère savait à quoi s’en tenir ; elle apportait de l’eau-de-vie et du caviar pour le faire revenir à lui, et courait elle-même chercher son bonnet. Mon père s’endormait alors pour quarante-huit heures. Voilà ce qu’étaient alors les hommes ! Et maintenant, qu’est-ce ?

— Bravo ! Et les filles en sarafane s’amusaient-elles seules ? demanda Béletsky.

— Seules ! non ; les Cosaques arrivaient à cheval, criant : Fendons les rondes ! et poussaient leurs chevaux vers elles ; les filles s’armaient de bâtons et bâtonnaient Cosaques et chevaux. On rompait les rangs, on saisissait sa