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hôtes. Le sergent vint le réveiller dans la nuit ; la compagnie partait pour une expédition. Olénine fut heureux de ce prétexte pour s’éloigner et ne plus revenir.

L’expédition dura quatre jours. Le chef désira voir Olénine, qui était de ses parents, et lui proposa de rester à l’état-major ; mais Olénine refusa : il ne pouvait vivre loin de la stanitsa et demanda l’autorisation d’y retourner. Il reçut la croix de soldat, qu’il avait passionnément désirée autrefois, et à laquelle il était maintenant parfaitement indifférent, ainsi qu’au grade d’officier, auquel il allait être promu. Il repartit avec Vania, précédant de quelques heures sa compagnie. Il passa la soirée sur son perron en contemplation devant Marianna, et la nuit à errer devant la cour, sans but ni idée arrêtée.


XXXIII


Olénine se leva tard le lendemain ; ses hôtes n’y étaient plus. Il n’alla pas à la chasse. Tantôt il prenait un livre, tantôt il sortait sur le perron, puis rentrait et se couchait. Vania le crut malade. Vers le soir, Olénine se leva, se mit à écrire et écrivit toute la nuit. Il acheva une lettre, mais ne la mit pas à la poste, persuadé que personne ne comprendrait ce qu’il voulait dire, et qu’il était même inutile que quelqu’un le comprît, excepté lui-même. Voici ce qu’il disait :

« On m’écrit de Russie qu’on a pitié de moi. On craint que je ne me perde entièrement dans cette solitude sauvage, que je ne me rouille, que je ne m’adonne à la boisson. On craint même que je n’épouse une Cosaque. Le général Yermolow avait raison de dire que tout homme qui avait passé dix ans au Caucase, ou bien devenait ivrogne, ou bien épousait une femme perdue. C’est affreux, et il est vraiment à craindre que je ne me perde,