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« Tu risques de tuer quelqu’un avec ta carabine, lui dit Marianna.

— Non, je ne tirerai pas. »

Ils se turent tous les deux.

« Pourquoi ne m’aides-tu pas ? »

Il prit un petit couteau de sa poche et se mit à l’ouvrage. Il tira de dessous les feuilles une grosse grappe d’au moins trois livres, dont tous les grains étaient étroitement collés les uns aux autres, et la montra à Marianna.

« Faut-il la couper ? Est-elle mûre ?

— Donne-la-moi ! »

Leurs mains se touchèrent ; Olénine prit celle de la jeune fille, qui le regardait en souriant.

« Vas-tu bientôt te marier ? »

Elle lui jeta un regard sévère et se détourna,

« Aimes-tu Loukachka ?

— Est-ce que cela te regarde ?

— Je l’envie !…

— Dis donc !

— Je te jure…, tu es si belle ! »

Il eut subitement conscience de ce qu’il disait : c’était si banal ! Il rougit, perdit contenance et saisit les deux mains de la jeune fille.

« Belle ou laide, je ne suis pas pour toi ; pourquoi te moquer de moi ? »

Mais les yeux de Marianna démentaient ses paroles ; elle sentait bien qu’il parlait sérieusement.

« Je suis loin de me moquer ; si tu savais comme je… »

Ses paroles sonnaient creux, et il les trouvait encore plus banales, encore plus en désaccord avec ses sentiments ; pourtant il continua.

« Je ne sais ce que je ne ferais pas pour toi !

— Va-t’en ! peste que tu es ! »

Mais les yeux brillants de Marianna, sa large poitrine disaient le contraire.

Olénine se dit qu’elle comprenait la banalité de ses