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Marianna et Oustinka chuchotaient et avaient de la peine à réprimer leurs rires.

Depuis qu’Olénine avait donné à Loukachka un cheval de cinquante roubles, ses hôtes étaient devenus bien plus aimables ; le khorounji le voyait avec plaisir auprès de sa fille.

« Je ne sais pas travailler, dit Olénine, évitant de regarder du côté de l’arba, où il avait aperçu à travers les branches la chemise bleue et le mouchoir rouge de Marianna.

— Viens, je te régalerai d’abricots, dit la vieille.

— C’est l’ancienne coutume hospitalière, la vieille y tient par bêtise, dit le khorounji, comme pour excuser sa femme ; ce ne sont pas les abricots qui vous manquent, en Russie ; vous avez dû manger à satiété des confitures et des conserves d’ananas.

— Il y a donc des lièvres dans le verger abandonné ? demanda Olénine ; j’y vais. »

Et, jetant un rapide regard à travers les branches, il souleva son bonnet et disparut dans les rangées irrégulières des vignes.

Le soleil descendait derrière les haies des jardins, et ses rayons interceptés brillaient à travers les feuilles transparentes, quand Olénine rejoignit ses hôtes. Le vent tombait, l’air commençait à fraîchir, il reconnut de loin la chemise bleue de Marianna parmi les ceps de vigne ; il alla vers elle, cueillant des grains de raisin en passant ; son chien altéré saisissait de sa gueule baveuse les grappes inclinées. Marianna coupait rapidement les lourdes grappes et les jetait dans un panier. Elle s’arrêta sans lâcher le cep qu’elle tenait, et sourit d’un air caressant. Olénine s’approcha, rejeta sa carabine sur le dos pour avoir les mains libres et voulait lui dire : « Dieu t’assiste !… Es-tu seule ? » Mais il ne dit rien et souleva seulement son bonnet. Il se sentait mal à l’aise en tête-à-tête avec la jeune fille ; pourtant, martyr volontaire, il se rapprocha encore d’elle.