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traire à faire le bien ? Cela ne vaut-il pas mieux que mes rêves d’autrefois quand j’ambitionnais de devenir ministre ou chef de régiment ? »

Mais une voix secrète lui disait d’attendre, de ne pas se presser. Il sentait confusément qu’il ne se contenterait pas de la manière de vivre de Jérochka et de Lucas, qu’il y avait un autre genre de bonheur qui s’appelait dévouement et sacrifice. Il ne cessait de se réjouir de ce qu’il avait fait pour Lucas, et cherchait pour qui se dévouer encore, mais ne le trouvait pas. Il lui arrivait d’oublier ce moyen d’être heureux et de chercher à vivre comme Jérochka, mais il se ravisait bientôt, s’éprenait derechef de l’idée du sacrifice volontaire, et envisageait de nouveau avec calme et orgueil les hommes et leurs jouissances.


XXVII


Peu avant les vendanges, Lucas arrivait à cheval et était plus beau que jamais.

« Eh ! à quand ta noce ? » demanda gaiement Olénine, allant à sa rencontre.

Loukachka ne répondit pas à cette question.

« J’ai échangé votre cheval au delà du fleuve : un vrai cheval de la Kabarda. Je suis connaisseur. »

Les jeunes gens examinèrent ensemble la nouvelle bête et l’essayèrent dans la cour. Le cheval était remarquablement beau, un hongre bai, large et long, à poil lustré, à queue épaisse, à crinière de race. Il était si bien nourri qu’au dire de Lucas on pouvait dormir sur sa croupe. Ses sabots, ses yeux, ses dents, tout était parfait, comme chez un pur sang. Olénine ne se lassait pas de l’admirer, il n’avait pas vu au Caucase d’aussi noble bête.

« Et son pas ! son trot ! disait Lucas, et son intelligence ! il suit son maître.