quelquefois seul, quelquefois avec Jérochka. On s’était habitué à l’y voir, et sa présence n’étonnait personne : il payait cher son vin et se tenait modestement. Vania lui apportait son thé, qu’il prenait dans un coin de la chambre, près du poêle. La vieille femme s’occupait du ménage sans se gêner de sa présence. Olénine s’entretenait avec ses hôtes des Cosaques, de leurs voisins, de la Russie ; il racontait et on le questionnait. Parfois il prenait un livre et lisait. Marianna restait accroupie comme une biche sauvage sur le poêle ou dans un coin obscur de la chambre. Elle ne prenait jamais part à la conversation, mais Olénine voyait ses yeux, son visage, suivait ses moindres mouvements, entendait le bruit des graines qu’elle grignotait, savait qu’elle l’écoutait attentivement, et sentait sa présence quand il lisait, sentait son regard attaché sur lui, et quand, en levant les paupières, il rencontrait le feu de ses yeux, il cessait brusquement de parler et la regardait en silence. Elle se cachait aussitôt, et lui, affectant d’être absorbé dans sa causerie avec la vieille, prêtait avidement l’oreille à la respiration de la jeune fille, à ses légers mouvements et attendait encore son regard.
En présence d’un tiers, elle était douce et souriante avec lui, mais, dès qu’ils restaient seuls, elle redevenait dure et sauvage.
Il lui arrivait de venir avant que Marianna fût rentrée ; il entendait tout à coup ses pas fermes et entrevoyait sa chemise bleue à travers la porte entre-bâillée. Elle entrait, s’arrêtait au milieu de la chambre, souriait imperceptiblement en l’apercevant, et il était éperdu et tremblant.
Il n’attendait rien, ne demandait rien, mais la présence de la jeune fille lui devenait de jour en jour plus indispensable.
Olénine s’était tellement fait à sa manière de vivre à la stanitsa, que le passé n’existait plus pour lui ; il ne se