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ans il ne s’était encore décidé pour aucune carrière et ne s’était occupé de rien ; il était ce qu’on appelait alors à Moscou « un jeune homme de la société ». À dix-huit ans, Olénine était déjà aussi libre de ses actions que l’étaient en Russie, il y a vingt ans, les jeunes gens de famille riches, restés orphelins en bas âge. Il n’avait ni frein ni entrave morale, et pouvait penser et agir comme bon lui semblait. N’ayant ni famille, ni patrie, ni foi, il ne croyait à rien et ne se soumettait à aucune autorité. Il n’était pourtant ni philosophe, ni ennuyeux, ni ennuyé, et cédait facilement à toute espèce d’entraînement. Il avait décidé que l’amour n’est qu’un vain mot, et pourtant il tressaillait à la vue d’une jeune et belle femme.

Il prétendait mépriser le rang et la position des hommes haut placés, et pourtant il éprouvait une certaine satisfaction quand le prince Serge l’approchait au milieu d’un bal et lui adressait une parole amicale. Mais il ne cédait à un entraînement qu’autant qu’il ne s’en rendait pas esclave. Dès qu’il pressentait une difficulté, une lutte, la lutte mesquine avec l’existence, il s’empressait d’éloigner l’entrave et de recouvrer sa liberté. C’est ainsi qu’il commença la vie sociale, le service de l’État, les occupations agraires, la musique, à laquelle il s’était un moment voué, et l’amour des femmes qu’il désavouait. Il se demandait comment utiliser les forces de la jeunesse, qui ne se donne qu’une fois : fallait-il les consacrer aux arts, à la science, ou aux femmes ? Non pas les forces de l’intelligence, du cœur, de l’éducation morale, mais ce puissant élan que la jeunesse seule peut donner à l’homme et qui le rend maître de l’univers par la pensée. Il y a des hommes qui ignorent cette force irrésistible : ceux-là, dès l’entrée de la vie, mettent un licou et le gardent jusqu’à la fin de leurs jours, travaillant honnêtement et placidement toute leur existence. Mais Olénine sentait en lui ce Dieu tout-puissant, qui concentre toutes nos facultés en un seul désir, celui de vouloir et d’agir, de se jeter tête baissée dans un