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maudite bête ! » lui disait-elle. Puis on entendait le bruit mesuré du lait qui coulait.

Le pas d’un cheval retentit près de la maison, et Olénine, monté sur son beau cheval gris, encore humide après le bain, approcha de la porte cochère. Marianna avança sa tête, couverte d’un mouchoir rouge, et la retira aussitôt. Olénine était vêtu d’une chemise en soie rouge et d’une redingote cosaque blanche, serrée à la ceinture par une courroie à poignard. Il portait un haut bonnet à poil et se tenait avec une certaine affectation sur le dos de son cheval bien nourri. Soutenant d’une main sa carabine, il se baissa pour ouvrir la porte cochère ; ses cheveux étaient humides, il respirait la jeunesse et la santé. Il se croyait beau, bien tourné et en tout semblable à un djighite ; mais là il se trompait, et l’œil exercé du Cosaque reconnaissait immédiatement en lui le soldat. Ayant aperçu la tête de la jeune fille, il se baissa vivement, poussa la claie, serra la bride d’une main, et de l’autre fendit l’air de son fouet cosaque, et entra dans la cour.

« Le thé est-il prêt, Vania ? » cria-t-il gaiement sans regarder du côté de l’étable. Il sentit avec satisfaction son cheval plier sur ses jarrets et prêt à s’élancer par-dessus la haie ; il le fit avancer au pas sur la terre glaise de la cour.

« Cé prêt !  » répondit Vania.

Olénine espérait que la charmante tête de Marianna reparaîtrait, mais il n’osait lui-même se tourner vers elle. Il sauta à bas du cheval, accrocha gauchement de sa carabine les colonnettes du perron et se retourna effrayé vers l’étable ; on n’y voyait personne et l’on n’entendait que le bruit uniforme du lait qui coulait.

Il entra dans sa cabane, en ressortit bientôt, un livre et sa pipe à la main, et s’assit pour déguster son thé sur le perron, inondé des rayons obliques du soleil levant. Il comptait rester toute la matinée à la maison et écrire des lettres qu’il remettait d’un jour à l’autre ; mais il n’avait