petite sacoche avec le déjeuner et du tabac, appelait son chien et s’en allait dans la forêt vers six heures du matin. Il revenait à sept heures du soir, fatigué, affamé, avec cinq ou six faisans à la ceinture, et n’ayant ni touché à ses provisions, ni fumé ses cigarettes. Si ses pensées avaient pu être comptées comme les cigarettes dans la sacoche, on aurait vu qu’elles étaient de même intactes dans sa tête. Il rentrait moralement frais et dispos, et complètement satisfait. Il lui aurait été impossible de dire à quoi il avait pensé pendant la journée : ce n’étaient ni des souvenirs, ni des rêves, ni de profondes méditations, mais des fragments de tout cela ensemble. Il se demandait lui-même à quoi il avait pensé : tantôt il s’était figuré être Cosaque et se voyait travaillant au jardin avec sa femme cosaque ; tantôt il était Abrek dans les montagnes, tantôt sanglier s’échappant à lui-même. Et tout le temps il prêtait l’oreille et avait l’œil au guet, épiant un sanglier, un faisan ou un cerf.
Chaque soir régulièrement Jérochka venait lui tenir compagnie ; Vania apportait du vin. Olénine en prenait avec le vieux Cosaque, causait avec lui, et ils se quittaient fort contents de leur soirée. Le lendemain, c’était de nouveau la chasse, la saine fatigue, la causerie avec le vieux chasseur, le contentement complet. Les fêtes et les jours de repos, il ne quittait pas la maison ; son occupation spéciale était alors de suivre avidement des yeux chaque pas, chaque mouvement de Marianna, qu’il observait de sa fenêtre ou de son perron. Il croyait l’aimer, comme on aime la beauté des montagnes ou du ciel, et il ne songeait pas à d’autres relations avec elle. Il se persuadait qu’il ne pouvait exister entre elle et lui les rapports qu’elle avait avec Lucas ou ceux que peut avoir un officier riche avec une fille cosaque. Il se disait que, s’il suivait l’exemple de ses camarades, il aurait échangé ses jouissances contemplatives contre une vie de tourments, de désillusions et de remords. Grâce à cette jeune fille, il avait déjà fait un