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aura rendu quelque service. Qui vivra verra. Quelle chance il a, ce Loukachka !

— Quels cerveaux brûlés que ces porte-enseigne ! s’écriait un troisième ; pourvu qu’ils ne mettent pas le feu chez nous ! »


XXIII


L’existence d’Olénine coulait d’une manière uniforme et égale. Il voyait peu ses chefs et ses camarades. Sous ce rapport, la position d’un porte-enseigne qui a de la fortune est fort agréable au Caucase ; on ne l’emploie ni à l’exercice, ni à la surveillance des travaux. Après la dernière campagne, on l’avait présenté pour être avancé officier, et jusque-là on le laissait en repos. Les officiers le tenaient pour un aristocrate et gardaient vis-à-vis de lui une certaine dignité ; lui-même ne cherchait pas à se rapprocher d’eux et ne se souciait pas de leurs bamboches, accompagnées de chants du régiment et de parties de cartes. L’existence des officiers a son pli reçu : dans les forteresses, chaque officier ou porte-enseigne prend du porter, joue aux jeux de hasard et suppute les récompenses qu’il peut recevoir ; dans les stanitsas, il boit le vin du pays avec son hôte, régale les jeunes filles de miel ou d’autres friandises, fait la cour aux femmes cosaques, devient amoureux d’elles, les épouse parfois. Olénine vivait toujours à sa manière et avait horreur des chemins battus. Ici, de même, il ne suivit pas la ligne tracée par les officiers du Caucase.

Il s’habitua tout naturellement à se lever avec le jour. Il prenait le thé sur son petit perron, et, après avoir admiré les montagnes, la belle matinée et Marianna, il mettait un habit usé en peau de buffle, la chaussure molle en cuir des Cosaques, ceignait son poignard, prenait son fusil, une