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grande superstition dans laquelle nous tombons ordinairement dès que nous nous affranchissons de la vieille superstition de l’Église. Pour voir clair la route que nous devons suivre, il faut commencer par le commencement, — il faut relever le capuchon qui me tient chaud, mais qui me couvre la vue. La tentation est grande. Nous naissons, — ou bien par le travail, ou plutôt par une certaine adresse intellectuelle, nous nous hissons sur les marches de l’échelle, et nous nous trouvons parmi les privilégiés, les prêtres de la civilisation, de la Kultur, comme disent les Allemands ; et il faut, comme pour un prêtre brahmane ou catholique, beaucoup de sincérité et un grand amour du vrai et du bien pour mettre en doute les principes qui vous donnent cette position avantageuse. Mais pour un homme sérieux qui, comme vous, se pose la question de la vie, — il n’y a pas de choix. Pour commencer à voir clair, il faut qu’il s’affranchisse de la superstition dans laquelle il se trouve, quoiqu’elle lui soit avantageuse. C’est une condition sine qua non. Il est inutile de discuter avec un homme qui tient à une certaine croyance, ne fût-ce que sur un seul point.

Si le champ du raisonnement n’est pas complètement libre, il aura beau discuter, il aura beau raisonner, il n’approchera pas d’un pas de la vérité.