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qui se croient prophètes, uniquement parce que c’est leur avantage, et qu’ils ont la possibilité de se faire passer pour tels.

Un prophète n’est pas celui qui reçoit l’éducation d’un prophète, mais celui qui a la conviction intime de ce qu’il est et doit, et ne peut ne pas être. Cette conviction est rare et ne peut être éprouvée que par les sacrifices qu’un homme fait à sa vocation.

De même pour la vraie science et l’art véritable. Un Lulli, qui, à ses risques et périls, quitte le service de la cuisine pour jouer du violon, par les sacrifices qu’il fait, fait preuve de sa vocation. Mais l’élève d’un Conservatoire, un étudiant, dont le seul devoir est d’étudier ce qu’on leur enseigne, ne sont même pas en état de faire preuve de leur vocation : ils profitent simplement d’une position qui leur paraît avantageuse.

Le travail manuel est un devoir et un bonheur pour tous ; l’activité intellectuelle est une activité exceptionnelle, qui ne devient un devoir et un bonheur que pour ceux qui ont cette vocation. La vocation ne peut être connue et prouvée que par le sacrifice que fait le savant ou l’artiste de son repos et de son bien-être pour suivre sa vocation. Un homme qui continue à remplir son devoir : celui de soutenir sa vie par le travail de ses mains, et, malgré cela, prends sur les heures de son