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n’a pas le droit de le désosser. Toute la morale et tout le progrès des sciences naturelles va contre un tel jeu d’hypothèse. Le christianisme est au fond de Tolstoi. C’en est la charpente et la moelle. Écarteler cet homme, tronquer sa pensée, distribuer ses actes, pour usurper ceux qui nous plaisent ou que l’on croit qui nous flattent, c’est mentir à la morale, c’est mentir à la science, mentir à l’histoire. C’est un amusement faux, c’est un jeu déloyal.

Quand un grand chrétien nous oppose toute la grande blancheur de la charité chrétienne, ce n’est pas en lui coupant des pans de robe que nous lui donnerons la réponse attendue. C’est nous-même en dressant, face à la charité blanche, toute la saine santé de la solidarité que nous aimons. Cela est difficile. Mais cela vaut. Et ce qui ne vaut pas, c’est de se déguiser en cordicole pour espionner les misérables cordicoles.

Ce ne sont ni les cabotinages, ni les grouillements de bas-fonds qui décideront de l’humanité. Les débats ne se poursuivent efficaces que dans les hauteurs. Celle des deux qui en définitive sera capable de réaliser le monde le meilleur, de la charité chrétienne ou de la solidarité moderne, celle donc qui vaudra le mieux, sera celle aussi qui vaudra le plus.


Charles Péguy