tiques et de paysans qui venaient, tout en larmes, faire leurs adieux à la barine. Pendant le service, je pleurai convenablement ; je fis mes signes de croix et me prosternai jusqu’à terre ; mais ma prière ne partait pas du cœur et j’étais assez indifférent. J’étais très occupé de mon habit neuf, qui me faisait grand mal aux entournures ; je prenais garde de ne pas trop salir les genoux de mon pantalon, et j’examinais du coin de l’œil les assistants. Mon père était debout à la tête du cercueil, blanc comme un linge et ayant de la peine à retenir ses larmes. Sa haute taille, son habit noir, son visage pâle et expressif, ses mouvements, gracieux et assurés comme à l’ordinaire quand il faisait le signe de croix et s’inclinait jusqu’à toucher la terre du doigt, ou quand il prit le cierge des mains du prêtre et s’approcha de la bière, tout cela produisait un grand effet ; mais, je ne sais pourquoi, il me déplaisait que, juste en ce moment, il pût produire tant d’effet.
Mimi s’appuyait à la muraille et paraissait avoir peine à se tenir debout ; sa robe était fripée et son bonnet de travers, ses yeux rouges et gonflés ; sa tête branlait ; elle cachait sa figure avec ses deux mains et son mouchoir, et sanglotait à fendre l’âme. Il me sembla que ses sanglots n’étaient pas francs et qu’elle se cachait la figure afin de pouvoir s’arrêter de temps à autre sans qu’on s’en aperçût. Je me rappelai que, la veille, elle avait dit à mon père que la mort de maman était pour elle un coup qu’elle n’espérait pas supporter, qu’elle perdait tout, que cet ange (c’est ainsi qu’elle appelait maman) ne l’avait pas oubliée au moment de mourir et avait exprimé le désir d’assurer son sort et celui de Catherine. En faisant ce récit, elle pleurait à chaudes larmes, et il est possible que son chagrin fût sincère ; mais il n’était pas désintéressé.
Lioubotchka, vêtue d’une petite robe noire garnie de pleureuses, le visage inondé de larmes, la tête baissée, jetait de loin en loin un coup d’œil sur la bière, et sa physionomie n’exprimait alors qu’une frayeur enfantine.