Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.

elle s’est soulevée, mon petit pigeon ; elle a mis ses petites mains comme ça, et tout d’un coup elle a dit, mais d’une voix telle que je ne peux pas y penser : « Mère de Dieu, ne les abandonne pas !… » Alors ça l’a prise au cœur, et on voyait à ses yeux qu’elle souffrait horriblement, la pauvre. Elle est retombée sur son oreiller, elle mordait son drap et des larmes lui coulaient comme ça, mon petit père….

— Et ensuite ? » demandai-je.

Nathalie Savichna ne pouvait plus parler : elle se détourna et pleura amèrement.

Maman mourut dans d’horribles souffrances.


XXII

LE CHAGRIN


Le lendemain, tard dans la soirée, je voulus la revoir encore une fois. Surmontant un sentiment involontaire de frayeur, j’ouvris doucement la porte de la salle et entrai sur la pointe du pied.

Au milieu de la pièce, sur une table, était le cercueil ; autour du cercueil, dans de grands chandeliers d’argent, des cierges allumés ; dans un coin éloigné de la salle, un chantre lisait les psaumes d’une voix basse et monotone.

Je m’arrêtai à la porte et me mis à regarder ; mais j’avais les yeux si fatigués à force de pleurer et les nerfs si troublés, que je ne distinguai rien. Tout se confondait d’une façon étrange : les cierges, le brocart, le velours, les grands chandeliers, l’oreiller rose garni de dentelles, le bandeau placé sur le front, le bonnet à rubans et une certaine chose transparente et couleur de cire qui était au milieu de tout cela. Je montai sur une chaise pour voir son visage ; mais, à l’endroit où il devait