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XX

LA LETTRE


Le 16 avril, près de six mois après la journée que j’ai décrite, mon père entra chez nous pendant la classe et annonça que nous partirions avec lui, le soir même, pour la campagne. À cette nouvelle, mon cœur se serra et je pensai aussitôt à maman.

La cause de ce départ imprévu était la lettre suivante :


Petrovskoë, 12 avril.

« Il est dix heures du soir, je viens seulement de recevoir ta bonne lettre du 3 avril, et, selon mon habitude, j’y réponds tout de suite. Fédor l’avait apportée de la ville dès hier ; mais, comme il était tard, il ne l’a donnée à Mimi que ce matin. Mimi, sous prétexte que j’étais souffrante et agitée, l’a gardée toute la journée. J’avais en effet un peu de fièvre et, pour te dire la vérité, voilà quatre jours que je ne suis pas bien et que je ne me lève pas.

« Je t’en prie, cher ami, ne t’effraye pas : je ne me sens pas mal, et, si Ivan Vassilitch le permet, je me lèverai demain.

« Le vendredi de la semaine dernière, j’étais sortie en voiture avec les enfants. Au moment d’arriver à la grande route, près de ce petit pont qui m’a toujours fait peur, la calèche s’est embourbée. Le temps était superbe ; j’eus l’idée d’aller à pied jusqu’à la grande route pendant qu’on dégagerait la voiture. Arrivée à la chapelle, je me sentis très fatiguée et je m’assis pour me reposer ; mais, comme il fallut près d’une demi-heure pour rassembler du monde et désembourber la calèche, j’eus froid, surtout aux pieds, car j’avais des bottines minces et je les avais