fièrement les pieds, tantôt je piétinais en faisant le bélier qui tient tête à un chien ; et je riais de tout mon cœur, sans m’inquiéter le moins du monde de ce que pensaient les spectateurs. Sonia ne cessait pas non plus de rire. Nous tournions en rond, en nous tenant par les mains, et elle riait. Nous regardions un vieux barine, qui enjambait lentement, comme si c’était un gros obstacle, un mouchoir tombé, et elle éclatait. Je sautais au plafond pour montrer mon agilité, et elle se tordait.
En traversant le cabinet de grand’mère, je jetai un coup d’œil dans le miroir. J’étais en nage, tout ébouriffé, mes cheveux se tenaient plus en l’air que jamais. Avec cela, ma figure avait une si bonne expression, un tel air de santé et de joie, que je me plus.
« Si j’étais toujours comme en ce moment, pensais-je, je pourrais tout de même plaire. »
Mais quand je reportai mes yeux sur le joli visage de ma danseuse, j’y vis une beauté si délicate et si exquise, jointe à cette même expression de santé, de gaieté et d’insouciance qui m’avait plu chez moi, que je devins furieux contre moi-même : je compris l’absurdité d’espérer que moi je pourrais attirer l’attention d’une créature aussi merveilleuse.
Non seulement je n’espérais pas de retour, mais je n’y pensais même pas : mon âme n’en avait pas besoin pour déborder de bonheur. Je ne savais pas qu’au delà du sentiment de l’amour, qui inondait mon cœur de délices, il existe encore un bonheur plus grand, qu’on peut souhaiter quelque chose de plus que de ne jamais cesser d’aimer. J’étais content ainsi. Mon cœur battait comme celui d’un pigeon, le sang y affluait sans cesse et j’avais envie de pleurer.
Nous suivions le corridor. En passant devant le cabinet noir de dessous l’escalier, je le regardai et je pensai : quel bonheur, si je pouvais vivre toute ma vie avec elle dans ce cabinet noir ! sans que personne sache que nous sommes là !