collets de castor, qui traversaient la rue en face de notre maison, précédés d’un jeune gouverneur élégant.
Les Ivine étaient nos parents, et à peu près de notre âge. Nous avions fait leur connaissance en arrivant à Moscou et nous nous étions liés.
Le second des Ivine, Serge, était brun et frisé. Il avait un petit nez retroussé et ferme, des lèvres très rouges et très fraîches, qui laissaient presque toujours apercevoir ses dents blanches, un peu trop en avant. Les yeux, d’un bleu foncé, étaient superbes, l’expression du visage singulièrement hardie. Jamais il ne souriait ; ou bien il était tout à fait sérieux, ou bien il riait aux éclats, d’un rire sonore, juste et extraordinairement séduisant. Sa beauté originale m’avait frappé dès le premier coup d’œil. Je me sentais irrésistiblement attiré vers lui. Il me suffisait de le voir pour être heureux, mais toutes les forces de mon âme étaient concentrées dans le désir de ce bonheur. Lorsqu’il m’arrivait de rester trois ou quatre jours sans le voir, je commençais à m’ennuyer et je devenais triste à pleurer. Endormi ou éveillé, je ne rêvais qu’à lui. Je me couchais en souhaitant de rêver à lui ; je fermais les yeux, je le voyais, et je cherchais à retenir cette vision chérie, la plus délicieuse des jouissances. Je n’aurais confié à personne au monde ce que j’éprouvais : mon sentiment m’était trop cher. Quant à lui, soit qu’il trouvât ennuyeux de rencontrer perpétuellement mes yeux inquiets fixés sur lui, soit, plus simplement, que je ne lui inspirasse aucune sympathie, il aimait beaucoup mieux jouer et causer avec Volodia qu’avec moi. J’étais néanmoins satisfait. Je ne désirais rien, je n’exigeais rien, j’étais prêt à tout lui sacrifier.
L’attrait passionné qu’il exerçait sur moi se mélangeait d’un autre sentiment non moins violent : la crainte de lui faire de la peine, de le froisser en quelque chose, de lui déplaire. C’était peut-être l’expression hautaine de sa physionomie, peut-être le prix exagéré que la honte de