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Figurez-vous, mon cousin, que l’autre jour Étienne a imaginé… »

Je n’entendis pas la suite. Quand elle eut fini, elle se mit à rire et dit en regardant papa d’un air interrogateur : « Il aurait mérité le fouet ; mais c’était si drôle, que je lui ai pardonné. »

La princesse dirigea ses yeux sur grand’mère, sans cesser de sourire.

« Est-ce que vous battez vos enfants, ma chère ? demanda grand’mère en levant les sourcils et en appuyant sur le mot battre.

— Oh ! je sais, ma bonne tante, que nous ne sommes pas d’accord sur ce chapitre. Moi, je crois qu’on ne fait rien des enfants sans la crainte. N’est-ce pas, mon cousin ? Rien ne leur fait aussi peur que les verges. »

Ici, ce fut nous qu’elle regarda d’un air interrogateur ; j’avoue que je n’étais pas trop à mon aise. « Quel bonheur, pensai-je, que je ne sois pas son fils ! »

Grand’mère replia mes vers et les replaça sous la boîte. Elle ne jugeait plus la princesse digne d’entendre mes œuvres. « Chacun est libre d’avoir son opinion, » fit-elle d’un ton qui mettait fin à la discussion.

La princesse se tut avec un sourire de condescendance, puis elle nous regarda d’un air affable et reprit : « Faites-moi donc faire la connaissance de vos jeunes gens. »

Nous nous levâmes et ne sûmes que faire : par quels signes témoignait-on qu’on faisait connaissance ?

« Baisez la main de la princesse, dit papa. Celui-ci, continua-t-il en montrant Volodia, sera homme du monde. Celui-là sera poète. »

À l’instant précis où il disait ces mots, je baisais la petite main sèche de la princesse, où il me semblait voir des verges.

« Lequel ? demanda-t-elle.

— Ce petit-là, avec ses cheveux en l’air, » dit gaiement papa.