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elle fouillait dans ses coffres, trouvait l’objet demandé et le donnait en disant : « Il est bien heureux que je l’aie caché. » Elle avait ainsi des centaines d’objets de toutes les variétés imaginables, dont personne, excepté elle, ne connaissait l’existence et ne s’inquiétait.

Une fois, je me fâchai contre elle. Voici à quelle occasion.

Nous étions à dîner. En me versant du kvass, je renversai mon verre et inondai la nappe.

« Appelez Nathalie Savichna, dit maman ; il faut qu’elle admire son favori. »

Nathalie Savichna vint. En voyant mon lac, elle hocha la tête. Maman lui dit quelque chose à l’oreille et elle sortit en m’adressant un geste de menace.

Après le dîner, j’étais tout gai et je me dirigeais en sautant vers la salle, quand tout à coup Nathalie Savichna surgit de derrière une porte, la nappe à la main, m’empoigna et, malgré ma résistance désespérée, me débarbouilla avec l’endroit mouillé en répétant : « Ne salis pas les nappes, ne salis pas les nappes ! » Cette conduite me parut tellement offensante, que j’en hurlai de rage.

« Quoi ! me disais-je en marchant de long en large dans la salle et en m’engouant à force de pleurer : Nathalie me tutoie et, par-dessus le marché, me frotte avec une nappe mouillée, comme si j’étais un petit serf ! Non, c’est horrible ! »

Quand Nathalie Savichna me vit baver de colère, elle s’enfuit en courant. Moi, je continuais à marcher dans la salle en songeant au moyen de venger l’injure que m’avait faite cette impudente de Nathalie.

Au bout de quelques minutes, Nathalie Savichna reparut. Elle s’approcha de moi timidement : « Assez, mon petit père, ne pleurez pas… pardon… j’ai été stupide… pardon, mon petit pigeon… Voilà pour vous. »

Elle tira de dessous son fichu un cornet de papier rouge, qu’elle me tendit d’une main tremblante. Il y avait dedans