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VIII

GRICHA


Nous n’étions pas très rassurés dans le noir réduit. Nous nous pressions les uns contre les autres sans rien dire. Gricha nous suivit de très près. Il marchait sans bruit, tenant d’une main son bâton, de l’autre une chandelle dans un chandelier de cuivre. Nous retenions notre souffle.

« Seigneur Jésus-Christ ! Sainte Vierge ! Au Père, au Fils et au Saint-Esprit… »

Il s’interrompit pour respirer et recommença, avec les intonations variées et les abréviations usitées seulement par les personnes qui répètent souvent ces mots.

Tout en priant, il posa son bâton dans un coin, examina son lit et commença à se déshabiller. Il défit sa vieille ceinture noire, ôta lentement sa souquenille de nankin, la plia soigneusement et la posa sur le dos d’une chaise. Son visage avait perdu l’expression inquiète et idiote qui lui était habituelle. Au contraire, il était calme, pensif et même majestueux. Ses mouvements étaient lents et réfléchis.

Quand il fut déshabillé, il s’assit doucement sur son lit, qu’il couvrit de signes de croix, et arrangea ses chaînes sous sa chemise, non sans effort ; on vit l’effort à la contraction de ses traits. Il contempla un instant d’un air soucieux les trous de sa chemise, se leva en recommençant à prier, prit la chandelle, qu’il éleva à la hauteur de l’armoire aux images, se signa et renversa son flambeau la tête en bas. La chandelle crépita et s’éteignit.

La lune, alors presque pleine, donnait dans la fenêtre de la chambre. Ses rayons pâles et argentés éclairaient d’un côté la longue figure blanche de l’innocent, dont l’autre côté paraissait tout noir et dont l’ombre, mêlée aux