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Dmitri venait me voir tous les jours. Il fut pendant tout ce temps extrêmement bon et affectueux ; mais, justement à cause de cela, il me semblait refroidi pour moi. J’éprouvais une impression douloureuse et pénible chaque fois qu’il entrait dans ma chambre et venait s’asseoir tout près de moi, un peu avec la physionomie du médecin qui s’assoit auprès du lit d’un malade condamné. Sophie Ivanovna et Vareneka m’envoyèrent par lui des livres dont j’avais eu envie et me firent dire d’aller les voir. Je vis dans leurs attentions l’indulgence orgueilleuse et blessante que l’on témoigne à un homme tombé au plus bas.

Au bout de trois ou quatre jours, je me calmai un peu. Toutefois, jusqu’à notre départ pour la campagne, je refusai de mettre le pied dans la rue. Je rôdais dans la maison, désœuvré et cherchant à éviter les domestiques, pensant et repensant éternellement à mon malheur.

Je pensais, pensais, et enfin, un soir qu’il était tard et que j’étais seul en bas, écoutant la valse de ma belle-mère, je me levai d’un bond, grimpai à ma chambre et cherchai le cahier sur lequel étaient écrits ces mots : Règles de vie. Je l’ouvris, et j’eus alors une minute de repentir et comme un élan moral. Je pleurais, mais ce n’étaient plus des larmes de désespoir. Quand je fus un peu calmé, je pris de nouveau la résolution de me rédiger des règles de vie. J’étais fermement convaincu que je ne ferais plus jamais rien de mal, que je n’aurais plus jamais une minute de désœuvrement et que je ne changerais jamais rien à mes règles.

Je raconterai dans la seconde partie de ma Jeunesse combien de temps dura ce beau zèle, ce qu’il produisit et quels nouveaux principes il donna pour fondements à mon développement moral[1].



FIN
  1. L’ouvrage n’a jamais été achevé.