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j’avais une vague idée que tout n’allait pas au mieux et qu’il y aurait peut-être lieu de modifier mes manières de voir et de faire. Le lever du soleil me retrouvait dans mon assiette, enchanté d’y être et sans la moindre envie de changer quoi que ce soit en moi.

J’étais dans cet état de satisfaction en me rendant à mon premier examen. Je m’assis sur un banc, du côté où se trouvaient les princes, les comtes et les barons ; je me mis à causer avec eux en français, et, chose étrange, je ne pensai pas un seul instant que j’allais être interrogé sur des sujets dont je ne savais pas le premier mot. Je regardais tranquillement ceux qui allaient passer et je me permettais même, à l’occasion, de me moquer d’eux.

« Eh bien ! Grapp, demandai-je à Iline, qui revenait de la table d’examen, avez-vous eu peur ?

— Nous allons voir comment vous vous en tirerez, » répliqua Iline, qui depuis son entrée à l’Université s’était complètement insurgé contre ma domination. Il ne souriait plus quand je lui parlais et était mal disposé pour moi.

Je souris dédaigneusement, bien que le doute qu’il venait d’exprimer m’eût causé une seconde de trouble. Ma frayeur se fondit presque aussitôt dans le brouillard dont j’ai parlé, et je me sentis de nouveau l’esprit si libre et si insouciant, que je promis au baron Z… d’aller prendre quelque chose avec lui après l’examen (comme si l’examen, pour moi, n’était rien du tout). Quand on appela mon nom, je rajustai mon uniforme et m’avançai avec le plus parfait sang-froid.

Ce fut seulement en me penchant pour tirer au sort ma question, que je sentis un léger frisson me courir dans le dos. Je répondis très mal. Je tirai une seconde question, et je ne répondis pas un seul mot. Le professeur me regarda d’un air de pitié et dit d’une voix douce, mais ferme : « Vous êtes refusé, monsieur Irteneff. Il faut nettoyer la Faculté. » Je ne me rappelle pas comment je fis pour traverser la