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oreilles à tout le monde avec sa passion, uniquement parce qu’elle avait envie de faire un mariage riche. »

Et Mimi soupirait d’un air pensif, comme pour dire : « Ça se serait passé autrement avec certaines personnes, s’il avait su les apprécier. »

Les certaines personnes étaient injustes pour Eudoxie Vassilevna. Son amour pour papa, un amour passionné, dévoué, qui lui donnait la soif du sacrifice, éclatait dans toutes ses paroles, dans chacun de ses regards et de ses mouvements. Sa passion, tout en lui faisant désirer de ne jamais se séparer de son époux adoré, ne l’empêcha pourtant pas d’avoir envie d’un petit bonnet très remarquable de chez Mme Annette, d’un chapeau à plume bleu ciel également remarquable et d’une robe de velours de Venise bleu foncé, qui seyait admirablement à ses belles épaules et à ses bras blancs, qu’elle montrait pour la première fois à d’autres que son mari et sa femme de chambre.

Catherine était naturellement du parti de sa mère.

Dès le jour de l’arrivée de notre belle-mère, il s’établit entre elle, mon frère et moi, des relations badines assez singulières. À peine était-elle descendue de voiture, que Volodia, prenant un air sérieux, s’approcha d’elle avec des révérences et des courbettes et dit, du même ton que s’il présentait quelqu’un :

« J’ai l’honneur de féliciter ma belle-maman de son arrivée. »

Il lui baisa la main.

« Ah, cher enfant ! répondit-elle avec son joli sourire stéréotypé.

— N’oubliez pas votre second fils, » fis-je en m’approchant à mon tour pour lui baiser la main et en imitant involontairement la figure et la voix de Volodia.

Si nous étions convaincus de notre affection mutuelle, notre belle-mère et nous, cette façon de s’aborder pouvait vouloir dire que nous dédaignions les démonstrations. Si nous étions, au contraire, mal disposés les uns pour les