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Et je me mis à lui démontrer qu’il n’aimait personne, en rivalisant avec lui de choses blessantes, et à lui énumérer tous les justes sujets de reproche que je croyais avoir contre lui.

La dispute était devenue une altercation. Tout à coup Dmitri se tut et passa dans la chambre à côté. Je voulus le suivre en continuant à déblatérer, mais il ne me répondait plus. Je savais que la colère figurait sur la liste qu’il avait dressée de ses défauts et qu’il était occupé à se vaincre. Je maudissais ses listes et registres.

Et voilà à quoi nous conduisit notre règle de tout nous dire et de ne jamais parler l’un de l’autre à un tiers. Nous nous laissions entraîner, dans des accès de franchise, aux aveux les plus éhontés, et ces aveux, qui desséchaient notre amitié, avaient le double effet de nous enchaîner plus étroitement l’un à l’autre et de nous séparer. Ce jour-là, l’amour-propre empêcha Dmitri de faire un aveu bien simple, et, dans la chaleur de la dispute, nous nous servîmes des armes que nous nous étions fournies l’un à l’autre et qui faisaient des blessures terriblement douloureuses.


LXXVIII

NOTRE BELLE-MÈRE


Malgré son projet de ne revenir à Moscou, avec sa femme, qu’après le jour de l’an, papa arriva dès le mois d’octobre, quand la saison était encore excellente pour chasser à courre. Il prétexta une affaire, mais Mimi nous raconta qu’Eudoxie Vassilevna s’ennuyait tant à la campagne, parlait si souvent de Moscou et feignait si souvent d’être souffrante, que papa s’était décidé à la contenter. « Elle ne l’a jamais aimé, ajoutait Mimi. Elle rebattait les