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et qu’elle lui faisait énormément de bien. Leur intimité continuait à affliger toute la famille.

Un jour que Vareneka me parlait de ce penchant incompréhensible pour nous tous, elle me l’expliqua comme il suit.

« Dmitri a de l’amour-propre. Il a trop d’orgueil. Avec toute son intelligence, il aime à être loué et admiré, à être partout le premier. Pauvre tante, dans l’innocence de son âme, est en admiration devant lui et n’a pas assez de tact pour le lui cacher. Il en résulte qu’elle le flatte, et c’est chez elle très sincère. »

Pour une raison ou pour une autre, je commençais à mieux aimer voir Dmitri dans le salon de sa mère qu’en tête-à-tête.


LXXVII

MON AMITIÉ AVEC NÉKHLIOUDOF


Vers cette même époque, mon amitié avec Nékhlioudof ne tint qu’à un fil. Il y avait trop longtemps que je l’examinais pour ne pas lui découvrir des défauts. Or, dans la première jeunesse, nous ne savons pas aimer autrement que passionnément, et par conséquent nous n’aimons que les gens parfaits. Le brouillard de la passion ne tarde guère à s’éclaircir, ou à être percé involontairement par la lumière de la raison. Nous commençons à voir l’objet de notre passion tel qu’il est, avec un mélange de qualités et de défauts, mais nous ne sommes frappés que des défauts, qui nous prennent par surprise et que nous grossissons. L’amour de la nouveauté et l’espoir que la perfection peut se trouver ailleurs nous refroidissent, et même quelque chose de plus, pour notre ancienne idole : ils nous la font prendre en aversion. Nous l’abandonnons sans le vouloir et nous courons plus loin, à la recherche