Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/264

Cette page a été validée par deux contributeurs.

française : comme si trois jolis, etc., ou bien il prenait une figure grave et bête et prononçait avec un regard vague un mot quelconque, n’ayant aucun rapport avec la question : petit pain, chou, arrivés, ou quelque chose en ce genre. Quand je lui répétais ce que m’avaient dit Lioubotchka ou Catherine, il ne manquait jamais de me répondre :

« Hum ! Tu causes donc encore avec elles ? Allons, je vois qu’il n’y a encore rien à faire de toi. »

Il fallait le voir et l’entendre pour mesurer la profondeur de mépris contenue dans cette phrase. Il y avait déjà deux ans que Volodia était grand et passait son temps à s’amouracher de toutes les jolies femmes qu’il rencontrait ; néanmoins, il avait beau voir tous les jours Catherine, qui depuis deux ans aussi portait des robes longues et qui embellissait tous les jours, l’idée ne lui venait pas qu’il pût devenir amoureux d’elle. Cela tenait peut-être à ce que les souvenirs prosaïques de l’enfance, la règle de notre précepteur, nos sottises, etc., étaient encore trop frais dans sa mémoire ; ou à l’éloignement qu’éprouvent les très jeunes gens pour toute personne faisant partie de la maison ; ou à la faiblesse que nous avons tous, lorsque nous rencontrons la beauté et la bonté à l’entrée de la route, de passer notre chemin en nous disant : « Bah ! j’en rencontrerai beaucoup comme cela dans la vie ! » — En tout cas, Catherine ne faisait pas encore à Volodia l’effet d’une femme.

Pendant tout cet été, Volodia s’ennuya visiblement. Son ennui venait de son mépris pour nous, mépris qu’il n’essayait pas de cacher, ainsi qu’on l’a vu. Sa physionomie disait perpétuellement : « Ah ! que je m’ennuie ! et personne à qui parler ! » Tantôt il partait dès le matin avec son fusil, tantôt il restait à lire dans sa chambre et ne s’habillait que pour le dîner. Si papa n’était pas à la maison, il apportait même son livre à table et continuait à lire sans parler à personne, ce qui nous donnait à tous le