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place dans la pièce haute et claire. Les grandes fenêtres, ouvertes comme autrefois, avaient la même vue riante sur les massifs verts et les petites allées rougeâtres du jardin. J’embrassai Mimi et Lioubotchka et m’approchai de Catherine pour en faire autant. Tout à coup, l’idée me vint qu’à présent il était inconvenant de l’embrasser. Je m’arrêtai, me tus et rougis. Catherine, sans le moindre embarras, me tendit sa main blanche et me complimenta sur mon entrée à l’Université. La même scène se répéta à l’entrée de Volodia au salon. Il était réellement difficile, ayant été élevés ensemble et nous étant vus tous les jours jusqu’à cette première séparation, de régler comment nous devions nous dire bonjour en nous retrouvant. Cette fois, ce fut Catherine qui rougit. Quant à Volodia, il ne parut pas le moins du monde embarrassé et s’inclina légèrement devant elle ; après quoi, il alla causer un instant, en badinant, avec notre sœur et alla se promener.


LXVIII

NOS RELATIONS AVEC LES FILLES


Volodia avait des idées si bizarres sur les filles, qu’il était capable de s’intéresser à ce qu’elles eussent bien mangé et bien dormi, à ce qu’elles fussent bien habillées et ne fissent pas de fautes de français (les fautes de français lui faisaient honte quand il y avait du monde) ; — mais il ne lui venait pas à l’esprit qu’elles pussent penser ou sentir quelque chose, et encore moins admettait-il qu’on pût raisonner avec elles sur n’importe quoi. Lorsqu’il leur arrivait de lui adresser une question sérieuse (ce qu’elles tâchaient à présent d’éviter), de lui demander, par exemple, son avis sur un roman, ou de l’interroger sur ses occupations à l’Université, il leur faisait une grimace et s’en allait, ou bien il répondait par un lambeau de phrase