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avait pour eux tous une signification si sérieuse.

« Tu veux toujours découvrir quelque chose d’admirable dans tout ce qui paraît ridicule et méprisable aux autres, disait Vareneka de sa voix sonore, en articulant nettement chaque syllabe.

— D’abord, il n’y a qu’un étourdi fieffé pour parler de mépris à propos d’un homme aussi remarquable qu’Ivan Iacovlevitch, répliqua Dmitri en étirant sa tête du côté opposé à sa sœur. En second lieu, toi, tu fais exprès de ne pas voir le bien qui te crève les yeux. »

Sophie Ivanovna rentrait. Ses yeux allèrent d’un air effrayé de sa nièce à son neveu, puis à moi, et deux fois elle soupira profondément en ouvrant la bouche, comme si elle s’était dit quelque chose à elle-même.

« Varia, je t’en prie, lis tout de suite, dit-elle en lui tendant le livre et en lui tapant sur la main d’un geste caressant. J’ai très envie de savoir s’il l’a retrouvée. »

La lecture reprit.

Cette petite scène ne troubla pas du tout la paix et l’harmonie morale qui respiraient dans cette réunion de femmes.

Je regardais lire Vareneka et je me disais qu’elle n’était pas du tout laide, comme je l’avais cru d’abord.

« Quel dommage que je sois déjà amoureux, pensais-je, et que Vareneka ne soit pas Sonia. Comme ce serait bon d’entrer tout à coup dans cette famille. J’aurais à la fois une mère, une tante et une femme. » En même temps, je la regardais fixement, avec l’idée que je la magnétisais et qu’elle ne pourrait pas s’empêcher de me regarder. Vareneka leva la tête de dessus son livre, rencontra mes yeux et se détourna.

« La pluie ne cesse pas, » dit-elle.

J’éprouvai soudain une impression singulière. Il me semblait que tout ce qui m’arrivait en ce moment était la répétition de ce qui m’était arrivé une autre fois : alors, comme aujourd’hui, il tombait une petite pluie, le soleil se couchait derrière des bouleaux, je la regardais, elle lisait,