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natte blonde et sa main, singulièrement fine et belle.

« Je suppose, monsieur Nicolas, que cela vous ennuie, d’entendre lire au milieu, » me dit Sophie Ivanovna avec son bon soupir en retournant le morceau de robe qu’elle cousait.

Dmitri étant sorti, la lecture s’était interrompue.

« Vous avez peut-être déjà lu Rob Roy ? »

Dans ce temps-là, je jugeais de mon devoir, à cause de mon uniforme d’étudiant, de répondre spirituellement et avec originalité aux questions les plus simples, quand je me trouvais avec des gens que je connaissais peu. J’aurais eu grande honte d’une réponse simple et claire : oui ou non, cela m’a amusé ou ennuyé, etc. Je repartis donc, en regardant mes pantalons neufs à la dernière mode et mes beaux boutons, que je ne connaissais pas Rob Roy, mais que la lecture m’intéressait beaucoup, parce que j’aimais mieux commencer un livre au milieu.

« C’est doublement intéressant, ajoutai-je avec un sourire satisfait ; il faut deviner ce qui est arrivé et ce qui arrivera. »

La princesse se mit à rire d’un rire qui n’était pas naturel (je m’aperçus dans la suite qu’elle n’en avait pas d’autre).

« Cela doit être vrai, dit-elle. Êtes-vous encore ici pour longtemps, Nicolas ? Vous ne trouvez pas mauvais que je supprime le monsieur ? Quand partez-vous ?

— Je ne sais pas ; peut-être demain, ou peut-être resterons-nous encore quelque temps, répondis-je, bien que notre départ fût positivement fixé au lendemain.

— Je suis fâchée que vous vous en alliez, fit la princesse en regardant quelque part au loin. Je le regrette et pour vous et pour mon Dmitri. À votre âge, l’amitié est une chose précieuse. »

Je sentais qu’elles me regardaient toutes et attendaient ma réponse, bien que Vareneka fît semblant de regarder l’ouvrage de sa tante. Je sentais qu’on me faisait subir une façon d’examen et qu’il s’agissait de me montrer à mon avantage.