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LXIV

LES NÉKHLIOUDOF


De toute cette société, la personne qui me frappa le plus au premier moment fut Lioubov Serguéievna. Elle montait l’escalier la dernière, son bichon dans les bras, et avait de gros souliers lacés. Deux fois elle s’arrêta pour me considérer avec attention et, les deux fois, elle embrassa aussitôt après son chien. Elle était fort laide : rousse, petite, maigre, la taille un peu de travers. Sa coiffure l’enlaidissait encore. C’était une coiffure bizarre, avec la raie en côté, une de ces coiffures qu’inventent les femmes chauves. J’avais beau faire, il m’était impossible, pour complaire à mon ami, de trouver quoi que ce soit de bien en elle. Même ses yeux bruns, bien qu’exprimant la bonté, étaient trop petits, trop ternes, et positivement laids. Même ses mains, ce trait caractéristique entre tous, bien qu’assez petites et point mal faites, étaient rouges et rudes.

Lorsque nous fûmes arrivés sur la terrasse, chacune des dames m’adressa quelques mots, à l’exception de Vareneka, la sœur de Dmitri, qui se contenta de fixer attentivement sur moi ses grands yeux gris foncé. Chacune reprit ensuite son ouvrage, tandis que Vareneka rouvrait son livre à l’endroit marqué avec son doigt, le posait sur ses genoux et se mettait à lire à haute voix.

La princesse Marie Ivanovna était une grande femme bien faite, d’une quarantaine d’années. On lui aurait donné plus d’après ses cheveux, dont les boucles grisonnantes sortaient franchement de son bonnet. On lui aurait donné beaucoup moins d’après son beau teint frais et uni, son visage sans une seule ride et ses grands yeux brillants, vifs et gais. Elle avait les yeux bruns et très ouverts, les lèvres trop minces, un peu dures, le nez assez régulier