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moi. Elle l’intéressait, plutôt qu’elle ne le touchait par sa beauté. Il l’aimait par l’intelligence, plutôt qu’il ne la sentait.

« Je suis très heureux, repris-je sans m’occuper de ce qu’il était absorbé dans ses pensées et entièrement indifférent à ce que je pourrais lui dire. Je t’avais parlé — tu te le rappelles ? — d’une demoiselle dont j’étais amoureux quand j’étais enfant ; je l’ai revue aujourd’hui, poursuivis-je avec entraînement, et maintenant j’en suis décidément amoureux….. »

Malgré l’indifférence persistante qui se peignait sur son visage, je lui racontai ma passion et tous mes plans de bonheur conjugal. Chose bizarre, dès que je mis à décrire la violence de mon sentiment, je sentis que celui-ci diminuait.

La pluie nous surprit dans l’avenue de bouleaux de la maison. Mais nous ne la sentions pas. Je ne m’aperçus qu’il pleuvait que parce qu’il me tomba quelques gouttes sur le nez et sur la main et parce qu’on entendait un léger bruit sur les jeunes feuilles des arbres ; les branches chevelues des bouleaux pendaient immobiles et avaient l’air de recevoir ces belles gouttes d’eau transparentes avec délices ; elles exprimaient leur jouissance en dégageant une odeur prononcée, dont l’allée était toute remplie. Nous descendîmes de voiture, afin d’arriver plus vite en coupant à travers le jardin. À l’entrée de la maison, nous nous rencontrâmes avec quatre dames qui rentraient précipitamment du côté opposé et dont deux portaient des ouvrages de couture, une troisième un livre et la quatrième un petit chien. Dmitri me présenta séance tenante à sa mère, sa sœur, sa tante et Lioubov Serguéievna. Elles s’arrêtèrent une seconde, mais la pluie augmentait rapidement.

« Entrons dans la galerie et tu nous le représenteras, » dit la dame qui me parut être la mère de Dmitri, et nous montâmes tous ensemble l’escalier.