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« N’est-ce pas que Valdemar (elle avait oublié mon nom) ressemble beaucoup à sa maman ? »

Elle accompagna ces paroles d’un tel signe des yeux, que le prince, devinant ce qu’elle voulait, s’approcha de moi d’un air qui était tout le contraire d’enchanté et me tendit sa joue pas rasée, qu’il me fallut embrasser.

« Tu n’es pas encore habillé ! et tu as à sortir ! poursuivit la princesse du ton aigre qui lui était évidemment habituel avec les personnes de la maison. Tu veux donc encore les agacer ? Tu veux encore te les mettre à dos ?

— On y va, on y va, petite mère, » dit le prince Mikhaïl, et il sortit.

Je saluai et me retirai.

C’était la première fois que j’entendais dire que nous étions les héritiers du prince Ivan Ivanovitch, et cette nouvelle m’avait produit un effet désagréable.


LXI

CHEZ LES IVINE


La visite indispensable que je devais lui faire me coûtait encore plus. Mais, avant d’aller chez le prince, j’avais à voir les Ivine, qui se trouvaient sur ma route. Ils habitaient une grande et belle maison sur le boulevard Tverskoë. Ce ne fut pas sans un sentiment de crainte que je gravis le perron de parade, où se tenait un suisse avec sa canne à pomme. Quand je montai le grand escalier, il me sembla que j’étais devenu tout petit, au sens propre du mot. J’avais déjà eu cette impression quand mon droshki était venu se ranger devant le grand perron : droshki, cheval, cocher, tout m’avait semblé devenir tout petit.

Je trouvai le jeune Ivine couché sur un divan et endormi devant un livre ouvert. Son gouverneur, qui m’avait suivi,