Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/230

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pendant un quart d’heure, elle m’entretint avec tant d’aisance et de tact, que la conversation ne languit pas un instant. On sentait seulement trop que c’était un travail ; aussi elle me déplut. Elle me raconta, entre autres choses, que leur frère Étienne, qu’on avait fait entrer deux ans auparavant à l’école des sous-officiers nobles, était déjà officier. En parlant de son frère, et surtout en racontant qu’il s’était mis dans les hussards malgré leur mère, elle fit une figure effrayée, et toutes ses cadettes, assises en silence, firent la même figure effrayée. Elle parla de la mort de grand’mère et prit un air triste, et toutes les jeunes princesses prirent le même air triste. Elle rappela le jour où j’avais frappé Saint-Jérôme et où l’on m’avait emmené, se mit à rire en montrant de vilaines dents, et toutes les sœurs se mirent à rire en montrant de vilaines dents.

Leur mère entra. C’était toujours la même petite femme maigre, avec son regard fuyant qui se détournait de la personne à qui elle parlait. Elle me prit la main et haussa la sienne jusqu’à mes lèvres ; l’idée de lui baiser la main ne me serait pas venue sans cela ; je ne trouvais pas que ce fût indispensable.

« Que je suis contente de vous voir, dit-elle de son ton bavard, en jetant un coup d’œil sur ses filles. Comme il ressemble à sa maman ! N’est-ce pas, Lise ? »

Lise répondit que c’était vrai. Je savais parfaitement que je ne ressemblais pas le moins du monde à ma mère.

« Vous voilà tout à fait grand garçon ! Et mon Étienne… vous vous le rappelez ?… c’est votre cousin issu de germain… non, pas issu de germain… Comment faut-il dire, Lise ? Ma mère était Varvara Dmitrievna, fille de Dmitri Nicolaiévitch, et votre grand’mère était Nathalie Nicolaiévna.

— Cela fait cousin au quatrième degré, maman, dit l’aînée des princesses.

— Tu embrouilles toujours tout ! lui cria aigrement sa