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les Valakhine, je n’étais pas amoureux le moins du monde ; seulement, ayant remué tous ces vieux souvenirs, j’étais tout disposé à le redevenir et je le souhaitais ardemment ; il y avait déjà longtemps que j’avais honte, en voyant tous mes amis amoureux, d’être si peu à leur hauteur.

Les Valakhine demeuraient dans une petite maison de bois, très propre, donnant sur une cour. Je sonnai — les sonnettes étaient encore une grande rareté à Moscou — et la porte me fut ouverte par un jeune domestique, tout petit, habillé proprement. Il ne sut ou ne voulut pas me dire si sa maîtresse était chez elle et s’enfuit par un corridor noir, me laissant dans l’antichambre sombre.

Je restai seul assez longtemps dans cette pièce obscure, sur laquelle donnait une porte fermée, sans compter la porte d’entrée et celle du corridor. Je m’étonnais un peu de la physionomie ténébreuse de la maison, mais je me disais, d’autre part, que cela devait être ainsi chez des gens ayant été à l’étranger. Au bout de cinq minutes, le même domestique ouvrit de l’intérieur la porte de la salle et me conduisit dans un salon modeste, mais propre. Presque au même instant, Sonia entra.

Elle avait dix-sept ans. Elle était très petite, très maigre, jaune et avec un air de mauvaise santé. On ne voyait pas trace de cicatrice sur son visage et elle avait toujours les charmants yeux un peu bombés et le joli sourire, bon et gai, que j’avais connus et aimés dans notre enfance. Ne m’attendant pas du tout à la trouver ainsi, il me fut impossible, au premier moment, de déverser sur elle le sentiment que j’avais préparé en route. Elle me tendit la main, à la mode anglaise, qui était alors une rareté comme les sonnettes, me donna une franche poignée de main et me fit asseoir à côté d’elle sur le divan.

« Que je suis donc contente de vous voir, mon cher Nicolas, » dit-elle en me regardant en face avec un air si sincèrement heureux, que je ne surpris rien de protecteur dans le ton amical avec lequel elle prononça les mots :