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— Non, mais c’est mal tout de même.

— Vous ne jouez pas ?

— Non ; j’ai donné ma parole de ne pas jouer. Doubkof, lui, ne peut pas se passer de ses gains.

— Ce n’est pas bien, dis-je. Volodia joue sans doute moins bien que lui ?

— Ce n’est certainement pas bien ; mais ce n’est pas non plus très mal. Doubkof aime le jeu et joue bien ; cela ne l’empêche pas d’être un charmant garçon.

— Je ne croyais pas du tout……

— Il est impossible de penser aucun mal de lui, car c’est réellement un charmant garçon. Je l’aime beaucoup, et je l’aimerai toujours, malgré son défaut. »

J’eus l’impression que Dmitri défendait Doubkof avec une chaleur exagérée précisément parce qu’il ne l’aimait ni ne l’estimait, mais qu’il ne voulait pas l’avouer, en partie par entêtement, en partie pour qu’on ne pût pas l’accuser d’inconstance. Dmitri était un de ces hommes qui restent fidèles toute la vie à leurs amis, moins parce qu’ils les en trouvent toujours dignes que parce que, lorsqu’une fois ils ont donné leur amitié à un homme, même à tort, ils ne jugent pas loyal de la lui retirer.


LVII

OÙ L’ON ME FÉLICITE


Doubkof et Volodia connaissaient tout le personnel de Iar par son nom, et tout le personnel, depuis le suisse jusqu’au patron, leur témoignait une grande considération. On nous donna sur-le-champ un cabinet particulier et on nous servit un dîner mirifique, commandé par Doubkof d’après une carte en français. La bouteille de Champagne frappé était préparée, et je m’efforçais de la regarder d’un